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Introduction
Etudier la vaisselle de table, c’est bien me direz-vous, mais qui l’utilise, quand, comment et où ? Vous auriez raison de vous poser ces questions, car la vaisselle de table ne peut être étudiée séparée de son contexte (temporel, social, culturel, géographique).
La société gallo-romaine est le produit d’un mélange entre des traditions celtiques et des éléments de la culture romaine : dès le IIe siècle avant notre ère, les romains se lancent à la conquête de la Gaule. Ainsi, les coutumes romaines pénètrent progressivement le territoire (même si le degré d’assimilation varie selon les régions). L’élite gallo-romaine développe un certain mimétisme, nous permettant de la rapprocher de l’élite romaine, à travers les recettes d’Apicius, les mosaïques découvertes à Pompéi, les scènes de banquet funéraire, etc… On remarque alors que la gastronomie et l’art du banquet sont primordiaux dans les deux sociétés. Cependant, ces comparaisons doivent être réalisées avec grande prudence, car ne pas distinguer les habitants de la Gaule romaine des romains serait une erreur.
Approchons-nous maintenant de la table gallo-romaine…Si vous tendez bien l’oreille, peut-être parviendrez-vous à entendre le tintement d’un verre, la collision de deux écuelles posées trop rapidement ou encore les grognements de ventres affamés…
Alimentation et organisation des repas
1- AU MENU….

Four à pain (hiver), pavement de mosaïque du calendrier agricole ; début du IIIème siècle ap. J.-C., St Romain-en-Gal (Rhône)
Musée de St Germain-en-Laye
© photo : J-F Bradu
Nous ne possédons pas de véritable recette de cuisine gallo-romaine (contrairement à la Rome antique). Cependant, d’après des études archéologiques des paléo-semences, il est possible de dire qu’à cette époque, on consomme toujours des galettes et des bouillies, préparées à partir de céréales, la base de l’alimentation.
Le pain, fabriqué à partir de farine de blé, d’orge ou de millet, se répand de plus en plus, dans les campagnes comme dans les villes.
Les légumineuses sont aussi très consommées (fraiches, bouillies, frites, en purée,…) : les familles de Gaule romaine ont souvent un potager dans lequel elles font pousser des salades, mais aussi des légumes verts ou secs comme le chou, les navets, carottes, radis, poireaux mais aussi les pois, lentilles et fèves.
On trouve aussi des fromages et laitages, du poisson (mangé frais sur les côtes et ses alentours ou bien salé) et même des huîtres (retrouvées en grande quantité dans les fouilles). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la viande fait partie des aliments consommés (même si elle ne fait très probablement pas partie du menu quotidien) : elle est presque toujours bouillie avant d’être rôtie et peut être conservée selon divers procédés : séchage, salage ou fumage. C’est surtout le porc que l’on élève pour sa viande, celle des bovins étant de moins bonne qualité.
A cette époque, on assiste également à l’apparition des arbres fruitiers, les fruits étant très appréciés par les gallo-romains : pommes, raisins, coings, poires, prunes, cerises, pêches,… On peut les cuire avec du miel (qui sert de sucre et accompagne souvent les plats salés) pour réaliser des pâtes de fruits ou des gelées.

Cueillette des olives (automne), pavement de mosaïque du calendrier agricole ; début du IIIème siècle ap. J.-C., St Romain-en-Gal (Rhône)
Musée de St Germain-en-Laye
© photo : J-F Bradu
Afin de relever leurs plats, les habitants de Gaule romaine ajoutent beaucoup (et parfois même jusqu’à l’excès) des sauces d’accompagnement et des épices, comme dans la Rome antique : vinaigre, garum (liqueur issue de la macération de poissons salés), cumin, etc… La cuisine à l’huile, quant à elle, fait son apparition sur le territoire.
Bien sûr, l’alimentation varie en fonction des régions : par exemple, dans le sud, le climat est plus favorable à la culture de certains fruits ou légumes.
Quant aux boissons, le vin est de plus en plus répandu, mais on trouve encore des bières dont la cervoise, fabriquée à partir d’épeautre, qui est la plus connue.
2- LES DIFFERENTS REPAS
Combien de fois mange-t-on au cours de la journée ? 3 repas ponctuent le quotidien des gallo-romains :
-Le jentaculum ou petit-déjeuner : repas léger pris à l’aube et composé principalement de pain, de fruits ou de fromage (qui peut à lui seul composer le repas : on y incorpore alors souvent des épices ou de la menthe).
-Le prandium ou déjeuner : il se prend en fin de matinée ; on consomme en général les mêmes aliments que ceux du petit-déjeuner.
-La cena ou dîner : organisé vers la 9ème ou 10ème heure, en fin de journée. C’est le seul repas qui nécessite un service précis et pour lequel on invite des convives. Chez les riches familles, il se prend dans une pièce bien séparée de la cuisine (le triclinium). Il se compose généralement de hors d’œuvre, d’une succession de plats (viandes, poissons, légumes,….) et de desserts (fruits, gâteaux,…).
A table !

Stèle en calcaire illustrant un repas funéraire : scène du repas des parents (haut) et des enfants (bas)
© Musées de la Cour d’Or, Metz
1- GESTES ET MANIERES DE TABLE
Comment mange-t-on ? Assis ou allongé ? En Rome antique, les images représentent les banquets organisés dans le triclinium, une des pièces les plus décorées de la domus où se trouvent des lits/banquettes permettant de prendre les repas à demi-couché, à la romaine, le coude appuyé sur un coussin (pulvinar). Si on retrouve cette pièce dans les riches maisons de Gaule romaine, ce n’est pas le cas pour la plupart des humbles gens : surtout dans le Nord, les repas se prennent plutôt debout ou autour d’une table, assis sur un tabouret. Cette position correspondrait à une différence de statut social, bien que l’on ait trouvé des stèles funéraires de riches familles représentant les convives assis. A l’heure du repas, une fois les mets apportés sur des plateaux, on se sert directement dans le récipient de cuisson ou bien dans des récipients intermédiaires (qui servent à la fois de plats de service et de plats individuels), avec les doigts ou à l’aide d’une cuillère. Quand la famille dispose de domestiques, ce sont eux qui découpent les viandes et poissons, à la cuisine ou devant les invités. Quant aux volailles, elles sont déposées entières sur la table, et l’on en détache des morceaux directement avec les mains. En effet, à part la cuillère pour les soupes ou bouillies, la cochlear pour les mollusques, le gobelet pour boire et la serviette (mappa), il n’y a pas de couvert individuel. Concernant les boissons, elles sont souvent conservées dans des récipients posés soit par terre, soit dans des coffres, soit sur une table basse. Un domestique vient puiser dans ces contenants et circule ensuite avec une cruche[1].
2- FONCTIONS (manger, boire, servir) :
Le plus souvent, la vaisselle gallo-romaine est en céramique ou en bois, mais elle peut également être en métal précieux (bronze, argent,…) ou en verre pour les plus aisés.
Les fonctions des objets de table sont cependant dans l’ensemble assez mal identifiées, par rapport aux objets de cuisine servant à la préparation des repas, qui sont mieux connus (poêles, mortiers, chaudrons, moules, etc…). Nous disposons d’une grande quantité de noms de récipients, grâce notamment aux comptes de potiers, mais sans savoir à quoi ils correspondent : par exemple, les comptes de potiers de la Graufesenque (site archéologique en Aveyron) répertorient de nombreux termes gaulois d’ustensiles de cuisine, mais il nous est impossible de leur attribuer une forme particulière.
Malgré tout cela, on connaît des récipients multifonctionnels, trouvés en fouilles archéologiques :

Reconstitution fictive d’une table gallo-romaine (grande bouteille en verre, assiettes et bol en céramique, assiette métallique), Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye
© RMN
–Pour la NOURRITURE SOLIDE : des plats (avec un ou plusieurs pieds, parfois sans), tasses et coupes de forme plus ou moins ouverte. On peut aussi clairement identifier l’écuelle (ou bol), qu’on appelle en Rome antique le catinus, et l’assiette (patula ou patella). A côté, on trouve des ustensiles à la fonction particulière, tel que le boletar (plat servant à cuisiner mais aussi à manger) ou le plat à champignons (les champignons étant rares et appréciés). Toutefois, il faut se méfier des noms de certains récipients qui sont parfois très polyvalents comme la trulla, qui est à la fois un récipient servant à mélanger des boissons, un encrier et un vase de nuit !

Canthare « d’Alésia », argent doré, 2ème moitié du 1er siècle avant J.-C. / début du 1er siècle après J.-C. ?, découvert à Alise-Sainte-Reine
© RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale) / Chauchat
–Pour les BOISSONS : les récipients de service (cruches comme l’urceus, pichets, pots, récipients pour les mélanges d’eau et de vin et l’attiédissement des boissons, passoires, louches, etc…)1 et les divers récipients à boire individuels : aussi bien pour l’eau que pour le vin, on trouve les gobelets, dits pocula mais également des canthares, des timbales, etc….
Les problèmes que nous rencontrons pour établir une typologie des ustensiles de table associés à une fonction, sont accentués par le fait qu’ils n’ont pas un rôle uniquement fonctionnel : il y a toute une dimension culturelle qui entre en jeu : les traditions, l’esthétique, mais aussi le goût : parfois la matière employée pour la fabrication d’un récipient influe sur le goût : ainsi, la terre ou le bois utilisé peut parfumer un liquide ou un met, ce qui, dans certains cas, peut être recherché par les gallo-romains. En outre, il faut prendre en compte l’échelle de production, le conditionnement et le transport (par exemple, le Ier siècle connaît un appauvrissement des formes).
Et les enfants ?
L’alimentation de l’enfant est-elle la même que celle des adultes ? La vaisselle change-t-elle ? L’enfant est rarement évoqué dans les textes antiques. Cependant, Soranos d’Ephèse, médecin grec du début du IIe siècle de notre ère qui a notamment exercé à Rome, a rédigé un Traité des maladies des femmes, qui nous permet d’en savoir plus sur l’accouchement, l’allaitement et sur la façon de nourrir les petits enfants. Il est raconté que c’est seulement après une diète forcée de 2 jours que l’on peut nourrir le nourrisson.

Guttus : biberon en terre datant du Ier- IIème siècle ap. J.-C.
© Musée gallo-romain de Lyon-Fourvière
L’allaitement au sein est le plus courant, mais pour ne pas manquer de lait, les femmes les moins aisées peuvent donner au bébé du lait de brebis préalablement versé dans un biberon en terre cuite ou en verre. On en a retrouvés en fouilles archéologiques : leur forme ressemble à celle d’une petite cruche portant une anse et terminée par un bec tubulaire étroit. Le sevrage des enfants ne s’effectue qu’à l’âge de 2 ans. Soranos explique ensuite que la nourriture solide remplace progressivement le lait, dès que l’enfant a des dents : on essaie alors au maximum de varier les mets et boissons (y compris le vin !), « afin que l’enfant se familiarise avec toutes les saveurs ».
Ainsi, en Gaule romaine, l’enfant mange très tôt les mêmes aliments que les adultes, et donc utilise la même vaisselle de table.
Conclusion
En conclusion, la vaisselle de table de Gaule romaine est composée d’ustensiles de formes diverses, et aux fonctions multiples que l’on a souvent du mal à clairement identifier : ainsi, une casserole gallo-romaine ne sert pas à cuire car ne présente aucune trace de cuisson, mais est un objet de table destiné au mélange de liquides. Cependant, grâce aux textes, à l’iconographie (stèles, mosaïques,…) et à l’archéologie, nous pouvons approcher le quotidien des gallo-romains et leur vaisselle.
…..J’espère que cette petite visite autour de la table antique aura réveillé vos papilles et votre envie d’en savoir davantage ! Je vous invite donc à découvrir les autres articles qui composent cette rubrique.
Wendy Vettor
Sources
- BATS M., Vaisselle et alimentation à Olbia de Provence (v. 350-v. 50 av. J.-C.). Modèles culturels et catégories céramiques [Préface de Jean-Paul Morel. Annexe de Maurice Picon], In. Revue archéologique de Narbonnaise. Supplément au tome 18, 1988, pp. 5-72, [document électronique], http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ran_0153-9124_1988_sup_18_1_1669 (consulté le 15/02/15)
- BENOÎT A., Le repas dans la Gaule romaine, in. Musée national des arts et traditions populaires, Les Français et la table, Editions de la Réunion des Musées Nationaux, 1985, Paris, 509p.
- BLANC N., LEREDDE H., NERCESSIAN A. et al., Les potiers gaulois et la vaisselle gallo-romaine, Dossiers d’archéologie n°215, Paris, juillet/août 1996
- HONORE J., La cuisine romaine antique, dernière mise à jour le 15/06/2014, [en ligne], http://cuisineromaine.voila.net/cotecuisine1.htm (consulté le 22/02/15)
- LAURENT P., ZIMMERMAN M., Cuisines et gourmandises à l’époque gallo-romaine, Musées Bourgogne, [document électronique], http://www.musees-bourgogne.org/fic_bdd/dossiers_fichier_pdf/1167309052.PDF (consulté le 09/03/15)
- Le blog de Lutèce, A la table des gallo-romains, 18 mars 2010, [en ligne], http://www.e-stoire.net/article-la-cuisine-gallo-romaine-46938203.html (consulté le 09/03/15)
- LEMAÎTRE O., Manger à Lutèce, extrait de Lutèce, Paris gallo-romain, 04/12/2009, dailymotion, [vidéo en ligne], http://www.dailymotion.com/video/xbdp53_manger-a-lutece_travel (consulté le 07/03/15)
- MAUNE S., MONTEIX N., POUX M., Cuisines et boulangeries en Gaule romaine, in. Gallia Tome 70-1, Paris, 2013, [document électronique], https://www.academia.edu/5469300/Cuisines_et_boulangeries_en_Gaule_romaine (consulté le 08/03/15)
- Musée Unterlinden, Florilège de céramiques gallo-romaines en Alsace, [document électronique], http://www.musee-unterlinden.com/assets/files/ServiceEduc/ServiceEducatif/
FichesPedagogiquesPartieII/Archeologie/CeramiqueGREnseignant.pdf (consulté le 13/02/15)
Crédits images
- Image titre = Paris gallo-romain, Lutèce : http://www.francebalade.com/paris/parisjulien.jpg